Guinée, 16 Déc (IBC) – « On en revient ainsi à réaffirmer en quelque sorte que le pouvoir est au bout du fusil, ce qui n’est pas normal pour qui proclame une transition pour le retour à un ordre démocratique normal. Comment imaginer qu’on confie à un organe non élu, le futur CNT, désigné à la discrétion du CNRD, le soin de décider de la durée de son propre mandat, en tant que juge et partie. Il aurait fallu que cette question capitale de la durée de la transition soit discutée et conclue, de préférence consensuellement, par les forces vives du pays. Laisser planer le doute sur la durée de la transition ne pourra que fragiliser le CNRD et accroître les risques d’instabilité et de retournements non souhaitables pour l’avenir de la démocratie », selon le président de l’UFD, Mamadou Bah Baadicko.
En évaluant, pour ce laps de temps, ce qui a été fait dans le but de noter les manquements éventuels par rapport à ce qu’on espérait que la junte militaire au pouvoir en Guinée allait faire, le président de l’Union des Forces Démocratiques (UFD), Mamadou Bah Baadicko reconnait à l’actif du comité national du rassemblement et du développement (CNRD) plusieurs décisions.
« La libération immédiate des prisonniers politiques, jusque-là arbitrairement détenus, le plus souvent sans jugement ou alors condamnés injustement par une justice aux ordres. Si l’on considère que le transfèrement de l’ex chef de l’Etat Alpha Condé au domicile de son épouse est une semi-libération, cela veut dire que la Guinée fait enfin partie des pays africains qui ne comptent pas de prisonniers politiques. Cependant, on doit tempérer ce jugement car, on nous signale le cas d’une trentaine de compatriotes détenus à Macenta depuis 2020 pour s’être battus contre le 3ème mandat et qui, à présent traînent des accusations de violences intercommunautaires. Trois d’entre eux seraient déjà morts en détention, car les conditions carcérales sont extrêmement dures à supporter. On espère une action rapide du CNRD pour trouver une solution à cette situation. »
A cela, il ajoute « la levée de l’occupation illégale du siège de l’UFDG et de l’interdiction de sortie ou d’entrée du territoire de dirigeants de l’ex- opposition extra-parlementaire ; La fin du racket des forces de sécurité et la tentative de moralisation de leur conduite face aux populations. »
Avant le 5 septembre, « la Guinée était presque une vaste prison, avec certaines frontières fermées et à l’intérieur de laquelle, les pauvres citoyens étaient à la merci du racket à tout moment ou alors aux emprisonnements extra-judiciaires pour avoir déplu au pouvoir. »
Au plan de la gouvernance, « plusieurs décisions ont été prises pour la sauvegarde du patrimoine public et mettre fin à l’impunité pour les atteintes aux biens publics. Des comptes bancaires d’institutions publiques ou para-étatiques ou des personnalités de l’ancien régime ont été bloqués. Mais, apparemment, le dispositif est loin d’avoir été étanche jusqu’au bout. Plusieurs fuites ont été signalées. Des enquêtes ont été annoncées à grand bruit, mais plus aucune suite ! On espère que ce ne sont pas les vieux refrains qui continuent. Il a été annoncé aussi la récupération des biens ayant appartenu à l’Etat et qui ont changé de mains au profit de personnalités haut placées à l’époque de la cession. Pour l’instant, on en est resté aux effets d’annonce. On verra bien si la mesure sera appliquée, mais en respectant les règles de l Etat de droit. »
De façon évidente « le pillage ou plutôt le self-service des agents du Parti-Etat politico-ethnique dans les caisses de l’Etat, a énormément baissé. La conséquence s’est faite immédiatement sentir sur les taux de change : le franc guinéen s’apprécie de jour en jour, y compris contre le Dollar américain pourtant en pleine forme ! Les dizaines, voire les centaines de milliards volés à l Etat n’atterrissent plus au marché des devises à Madina! Dans un pays néocolonial, qui ne produit que ce qu’il ne consomme pas et qui importe tout, sauf l’air à respirer, le renforcement de la monnaie finira bien par réduire le coût des importations et faire baisser les prix. Ce sera au grand soulagement pour les masses qui crèvent de misère suite à l’explosion des prix depuis un an, avec la terrible facture du 3eme mandat. Ce n’est ni une décision de la politique monétaire de la Banque centrale, ni celle du gouvernement qui a renforcé le Franc guinéen mais plutôt les premiers résultats de la fin des pompages et le début de moralisation des comportements. Le système antérieur prédateur et corrompu a la peau dure et il faudra une volonté politique inflexible du CNRD pour arriver à bout de ce cancer vieux de 63 ans. »
Dernier constat de Mamadou Bah Baadicko: « Devant l’apparente volonté du CNRD de laisser la justice dire le droit en toute indépendance, sans crainte de représailles, des juges intègres commencent à relever la tête. On a ainsi assisté à la condamnation à des peines de prison de pontes du régime défunt pour spoliation de pauvres citoyens. On se met enfin à rêver d’une justice équitable qui serait au service de la vérité, du bon droit et non pas au service des riches et des puissants, au détriment des plus faibles et des pauvres. Malheureusement, les deux condamnés ont été remis en liberté, pour cause…de maladie ! Comme si les infirmeries de prison ou les cellules médicales gardées des hôpitaux n’existaient pas. »
Au passif des nouvelles autorités du pays, le président de l’UFD déplore : « la non fixation de la durée de la transition. Tout se passe comme si le CNRD, selon ses propres déclarations est souverain et seul habilité à prendre une décision dans ce sens. On en revient ainsi à réaffirmer en quelque sorte que le pouvoir est au bout du fusil, ce qui n’est pas normal pour qui proclame une transition pour le retour à un ordre démocratique normal. Comment imaginer qu’on confie à un organe non élu, le futur CNT, désigné à la discrétion du CNRD, le soin de décider de la durée de son propre mandat, en tant que juge et partie. Il aurait fallu que cette question capitale de la durée de la transition soit discutée et conclue, de préférence consensuellement, par les forces vives du pays. Laisser planer le doute sur la durée de la transition ne pourra que fragiliser le CNRD et accroître les risques d’instabilité et de retournements non souhaitables pour l’avenir de la démocratie. Il est bien connu qu’après une courte période d’entente, les acteurs des coups d’Etat finissent généralement par se constituer en factions d’intérêts opposés, vouées à l’affrontement. Trop d’exemples en Afrique – y compris en Guinée le prouvent, à suffisance. Tant que cette question cruciale ne sera pas correctement résolue, il sera difficile de croire aux proclamations de foi du CNRD. »
L’absence d’une feuille de route du gouvernement de transition n’échappe pas également au regard critique du leader de l’UFD.
« On nous avait annoncé en octobre la publication du programme du gouvernement de la transition. A ce jour, nous n’avons rien vu. Le pouvoir est toujours dans le vague sur la politique qu’il entend mener concrètement. Nous n’en sommes qu’à des décisions éparses, des annonces. Le pays a besoin de savoir où veut le mener le CNRD qui agit seul, dans le secret, avec des équipes occultes qui n’ont de comptes à rendre qu’à leur chef, rappelant de mauvais souvenirs. On ne sait même pas quelles sont les actions prioritaires et concrètes prévues par le CNRD. On nous parle d’aéroports régionaux : mais dans un pays où le réseau routier est totalement impraticable, est-ce une priorité ? On a mis à la retraite pêle-mêle des enseignants, des médecins très qualifiés sans savoir s’ils seront valablement remplacés. Nous avons une alerte rouge sur l’environnement qui conditionne le succès de l’agriculture, de l’élevage et de l’environnement. Qu’envisage-t-on pour restaurer et protéger l’environnement. Qu’attend le Ministère de l’Environnement pour vulgariser l’usage du gaz domestique et aller vers l’interdiction du charbon, en complément de la mesure salutaire de l’interdiction de l’abattage des arbres à des fins commerciales ? Pourquoi n’organise-t-on pas l’importation du bois d’œuvre ? Quand aurons-nous des structures hospitalières qui ne soient plus des mouroirs ? Quand mettrons nous définitivement fin à la farce des examens smartphones et autres fraudes, avec le bac vendu à 300 000 Fg? »
Tirant quelques leçons de son constat alarmant, Mamadou Bah Baadicko note qu’il y a « des actions positives, l’espoir renaît, mais l’ancien système, une pieuvre vieille de 63 ans, est une dure à cuire. Si le CNRD veut rester dans l’histoire comme celui qui aura réussi le grand tournant de la renaissance de la Guinée, il devra joindre les gestes à la parole ou aux proclamations et compter sur l’appui de l’écrasante majorité du peuple à qui appartient la souveraineté du pays. Pour l’instant, les changements opérés ou annoncés doivent se concrétiser, sinon, ce sera encore un faux départ, comme hélas notre pauvre pays martyrisé par ses élites corrompues et prédatrices, en a connu depuis 1958 » conclu-t-il.