Labé, le 30 septembre (Infosbruts.com) – En Guinée, lancer une alerte ou ouvrir un débat de société est devenu un exercice périlleux. Non pas à cause des faits évoqués, mais à cause du traitement qui leur est réservé. Il suffit qu’un citoyen, un journaliste, un acteur associatif ou même un simple internaute aborde une problématique liée à l’eau, à l’éducation, à la santé ou à la gouvernance, pour que le débat déraille. Immédiatement.
Les questions objectives cèdent alors la place aux procès d’intention.
On ne se demande plus « Que dit-on ? », mais « Qui l’a dit ? », « Pourquoi il l’a dit ? », « Pour qui travaille-t-il ? », « Qu’est-ce qui se cache derrière ? ». Et comme par enchantement, les faits concrets s’effacent. Le sujet s’envole. Ne restent que les interprétations, les rumeurs, les jugements de valeur et, très souvent, les insultes personnelles.
Du fait au soupçon : le glissement dangereux
Ce réflexe, de plus en plus courant, traduit une faiblesse structurelle de notre espace public. Dans une société qui se veut démocratique, les faits doivent être au centre de toute discussion. Ce sont eux que l’on doit analyser, confirmer, contester, nuancer… Mais en Guinée, dès qu’un fait dérange, il est relégué à l’arrière-plan. Le débat glisse du « quoi » au « qui ». Et souvent, celui qui parle devient la cible, au lieu d’être écouté.
Comme si toute critique était une attaque personnelle. Comme si toute question posée devenait une tentative de déstabilisation. Et comme si chaque vérité dérangeante était un complot camouflé.
L’ego au pouvoir, la vérité en prison
Ce phénomène révèle une profonde crise de maturité collective. Car une société incapable de discuter calmement de ses problèmes réels ne peut ni se réformer ni progresser.
En refusant de regarder la vérité en face, on alimente la suspicion permanente, la paranoïa sociale et la crispation politique. Le résultat ? La vérité devient secondaire. L’ego prend toute la place.
Et pourtant, le développement durable ne peut se construire que sur la base de la vérité partagée et du dialogue ouvert, même quand celui-ci dérange.
Il ne peut y avoir de progrès sans diagnostic honnête. Et pas de diagnostic sans liberté de parole ni respect du débat contradictoire.
Distinguer le message du messager : une urgence nationale
Le véritable défi aujourd’hui, c’est d’apprendre à distinguer le message du messager. Ce n’est pas parce qu’on ne partage pas les idées d’une personne qu’il faut ignorer les faits qu’elle dénonce. Ce n’est pas parce qu’un individu est critique qu’il est forcément mal intentionné.
Il est temps de sortir de la logique du soupçon permanent, de la défense émotionnelle et des jugements à l’emporte-pièce.
Il est temps de placer la réalité objective au centre du débat public, au lieu de sacrifier la vérité sur l’autel des intérêts personnels ou partisans. Car un pays qui refuse d’écouter ses sentinelles s’expose aux orages qu’elles annonçaient.
Chérif Sampiring Diallo — Journaliste indépendant