Labé, 21 Septembre (Infosbruts.com) – Le 18 septembre 2025, la Guinée a reçu pour la première fois une note souveraine : B+ avec perspective stable, délivrée par l’agence américaine Standard & Poor’s. A première vue, cet événement pourrait paraître un jalon de maturité économique. En réalité, il révèle surtout la persistance d’un dispositif mondial qui réduit des sociétés entières à un chiffre, reproduit des rapports de force hérités du colonialisme et prétend mesurer l’« appétit du marché » comme on évalue la cote d’une action.
Les agences de notation, Standard & Poor’s, Moody’s, Fitch, ne sont ni neutres ni scientifiques. Elles sont nées au cœur de Wall Street, financées par les investisseurs qu’elles sont censées éclairer. Leur mission officielle est d’estimer le risque de défaut d’un État, mais leur impact réel va bien au-delà : elles influencent le taux auquel un pays peut emprunter, et donc le coût de ses politiques sociales. Un B+ ne dit rien de la qualité de la gouvernance guinéenne, de l’inventivité de sa jeunesse ou de la vitalité de son secteur informel ; il fixe simplement un prix pour les créanciers.
Réduire une économie nationale à une lettre et un signe revient à effacer la diversité structurelle d’un pays où une agriculture de subsistance et une rente minière ne répondent pas aux mêmes logiques de risque. Cela ignore la dynamique politique, où des réformes démocratiques profondes peuvent coexister avec un endettement élevé. Cela occulte aussi les atouts non financiers, comme le capital humain, la solidarité communautaire ou la résilience écologique. Cette simplification a déjà montré ses limites : en 2008, des produits financiers notés « AAA » se sont révélés toxiques et ont déclenché la plus grave crise mondiale depuis 1929. Les mêmes agences qui avaient encensé ces titres se sont empressées de dégrader la Grèce, accélérant la spirale de l’austérité.
Accepter sans distance ces notations revient à cautionner une architecture où le Nord fixe les règles et le Sud se conforme. Les pays africains paient des primes de risque plus élevées que des États européens pourtant plus endettés. En 2023, par exemple, la Zambie et l’Éthiopie affichaient des ratios dette/PIB comparables à ceux de la France, mais leurs emprunts étaient deux à trois fois plus chers, simplement parce que « les marchés » exigeaient une rémunération plus forte face à une note jugée « spéculative ».
La Guinée doit certes dialoguer avec les marchés pour financer ses infrastructures, mais elle peut diversifier ses bailleurs en s’appuyant sur des fonds africains, asiatiques ou sud-américains. Elle peut aussi renforcer ses propres indicateurs en évaluant ses risques à travers une agence régionale africaine, comme le propose déjà l’Union africaine. Elle peut surtout choisir de prioriser le bien-être, en mesurant la réussite par l’éducation, la santé et la transition énergétique, plutôt que par le verdict d’une firme new-yorkaise.
La notation « B+ stable » n’est pas un trophée : c’est un rappel brutal que le système financier international reste construit pour les investisseurs du Nord. L’enjeu pour la Guinée n’est pas de viser un A– demain, mais de bâtir une économie capable de se financer, de décider et de rêver hors des grilles d’un alphabet qui n’a jamais été conçu pour elle.
Par Chérif Sampiring Diallo Journaliste, éditorialiste, écrivain, essayiste















