Guinée, 6 août (Infosbruts.com) – Je suis récemment tombé, par pur hasard, sur une tribune signée de Tierno Monénembo, publiée sur le site Kumpital, intitulée « Quand la Guinée me donne envie de vomir ». En lisant ce texte, aussi lyrique que violent, j’ai ressenti le besoin, presque un devoir, d’y répondre. Non pas pour défendre un pouvoir ou une figure, mais pour défendre une idée : celle selon laquelle le désespoir n’est pas une pensée, et le mépris n’est pas une critique.
Vomir n’est pas penser
Tierno Monénembo amalgame Mamadi Doumbouya avec ses prédécesseurs : Dadis Camara, Alpha Condé, Sékou Touré, Lansana Conté… Tous seraient coupables du même péché : celui de trahir le peuple. Et tous seraient condamnés à échouer par une sorte de malédiction historique. Ce raisonnement circulaire, fondé davantage sur une frustration que sur des faits, ne résiste pourtant pas à l’épreuve de la réalité.
Depuis septembre 2021, la Guinée connaît une transition sans précédent sur plusieurs plans : le procès historique du 28 septembre, l’assainissement de l’administration, la régulation du secteur minier, le lancement d’un processus constitutionnel ouvert à consultation nationale.
Contrairement aux transitions précédentes, celle-ci n’a pas muselé les voix critiques, ni suspendu les libertés publiques.
Aucun régime passé n’a aussi frontalement remis en cause les privilèges ancrés dans les rouages de l’État.
Doumbouya n’est pas Dadis
L’erreur centrale du texte de Monénembo réside dans cette comparaison directe entre Mamadi Doumbouya et Dadis Camara. Une erreur factuelle.
Mamadi Doumbouya n’est mêlé à aucune affaire de massacre ni d’exaction militaire. Il a laissé la justice faire son travail, y compris dans le procès d’anciens militaires du CNDD. Il gouverne avec des civils et des technocrates, dans un cadre plutôt sobre, loin du théâtre populiste d’hier. Il tolère, voire assume, la critique : en témoigne la libre circulation de la tribune en question, publiée sans censure, ni interdiction.
Le confort de la radicalité
Au-delà des arguments, c’est le ton qui choque. Monénembo ne critique pas : il attaque. Il ne dénonce pas : il insulte. Il ne s’adresse pas à l’intelligence collective, mais la prend de haut. Il traite les élites de lâches, les religieux de corrompus, les intellectuels de griots et le peuple de mendiants. Ce ton hautain n’ouvre aucun dialogue : il ferme la porte à toute nuance. Il entretient l’idée que seule l’indignation totale serait noble, et que toute tentative de lucidité ou d’équilibre serait une trahison.
Un appel à la responsabilité
La critique radicale a sa place. Mais encore faut-il qu’elle repose sur la vérité, la rigueur, la responsabilité. Ce pays n’a pas besoin d’être humilié à nouveau, ni par ses dictateurs, ni par ses écrivains.
Il a besoin d’un sursaut, pas d’une gifle.
Il a besoin d’une critique utile, d’un engagement humble, d’un espoir crédible. La Guinée mérite mieux qu’un dégoût mis en vitrine. Elle mérite mieux qu’un désamour mis en scène. Elle mérite qu’on la pense, pas qu’on la vomisse.
Chérif Sampiring Diallo
Journaliste éditorialiste /
InfosBruts.com