Sénégal, 13 nov. (Infosbruts.com) – L’histoire a parfois le goût d’un écho. Le Sénégal d’aujourd’hui semble rejouer, sur un autre tempo, la partition d’un vieux duo brisé : celui de Léopold Sédar Senghor et de Mamadou Dia. Deux hommes, deux intelligences, un même rêve de souveraineté nationale, et, au bout du chemin, la discorde. Soixante ans plus tard, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko se trouvent au cœur d’une tension qui rappelle, par son intensité et sa symbolique, cette fracture originelle.

Senghor et Dia formaient un tandem presque parfait. Le premier, poète et diplomate, rêvait d’un État moderne, ancré dans la culture et l’universalisme. Le second, économiste visionnaire, pensait la souveraineté par l’économie, la production et la justice sociale. Ensemble, ils avaient trouvé un équilibre rare entre le verbe et l’action, entre la poésie de la nation et l’architecture du développement. Mais le pouvoir, cet acide lent, finit toujours par dissoudre les alliances les plus sincères. En décembre 1962, un différend institutionnel sur la gestion du gouvernement devint crise politique. Dia fut arrêté. Senghor resta seul. Et le rêve d’un binôme africain au sommet s’effondra dans la désillusion.
Le parallèle avec Diomaye et Sonko s’impose presque naturellement. L’un est l’incarnation de la rigueur institutionnelle, calme, méthodique, habité par le devoir de construire l’État. L’autre, le tribun du peuple, l’âme du mouvement, le porteur d’un feu qui a réveillé toute une génération. Ensemble, ils ont vaincu un système, brisé le mur du fatalisme, ouvert un nouveau cycle dans la politique sénégalaise. Mais, aujourd’hui, des dissonances se font entendre. Des décisions contestées, des signaux contradictoires, des rumeurs de méfiance : le tandem vacille, non pas encore par la trahison, mais sous le poids de la transition du rêve au réel.
Ce que Senghor et Dia avaient vécu en 1962, Diomaye et Sonko le vivent en 2025 : la confrontation entre deux légitimités. Celle du pouvoir d’État, qui exige la prudence, la continuité, la gestion. Et celle du pouvoir moral, celui de la rue, de la base, du mouvement, qui veut l’audace, la fidélité à la promesse. Entre le temps de la Révolution et le temps de la République, il y a toujours un gouffre à franchir. Senghor et Dia y sont tombés. Diomaye et Sonko y marchent avec prudence, mais l’histoire, déjà, les observe.
La différence essentielle, pourtant, réside dans le contexte. En 1962, l’Afrique indépendante n’avait ni mémoire ni garde-fou. L’État était jeune, la démocratie fragile, la presse docile. Aujourd’hui, les réseaux, les citoyens, la diaspora scrutent chaque geste du pouvoir. La trahison d’un idéal ne passe plus inaperçue. C’est peut-être cette vigilance populaire qui peut sauver le tandem du naufrage. Là où Senghor et Dia se sont séparés dans le silence de la prison, Diomaye et Sonko peuvent, s’ils le veulent, inventer la réconciliation par la transparence, la concertation et la loyauté assumée.
Les duos politiques ne sont jamais de simples coïncidences. Ils sont les miroirs d’une quête africaine : comment concilier l’amitié et l’État, la fidélité et la fonction, l’idéal et la gouvernance ? Senghor et Dia ont échoué à en donner la clé. Diomaye et Sonko ont la chance d’écrire la suite, non pas en imitant leurs aînés, mais en tirant la leçon de leur chute : le pouvoir ne détruit que ceux qui oublient pourquoi ils l’ont voulu.
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