Guinée, 5 nov. (Infosbruts.com) – Il faut saluer la créativité de nos commentateurs à temps partiel : ils ont le génie de la comparaison approximative. La dernière trouvaille sortie du laboratoire des rumeurs politiques ? Mamadi Doumbouya serait « le nouveau Bokassa ». Rien que ça. On se pince pour y croire. On attendait un peu d’analyse, un brin de rigueur, et voilà qu’on nous sert du copier-coller historique à la sauce paresseuse.
Comparons donc, puisque la paresse aime les raccourcis. Bokassa, c’était la couronne, les diamants et les fastes impériaux ; Doumbouya, c’est la discipline, la sobriété et la redéfinition de la souveraineté nationale. L’un se rêvait empereur, l’autre s’efforce de restaurer l’État. Mais il est vrai qu’à force de confondre fermeté et despotisme, certains finissent par voir des trônes dès qu’ils aperçoivent une épaulette.
Cette comparaison trahit surtout une obsession : celle de réduire tout leadership africain fort à une caricature. Dès qu’un dirigeant ose parler de dignité, on le range au rayon des « autoritaires ». Dès qu’il réclame le respect du pays, on le soupçonne de dérive monarchique. C’est plus simple que d’admettre qu’un Africain puisse gouverner avec autorité sans verser dans la tyrannie.
Mais enfin, de quel Bokassa parle-t-on ? Celui des légendes parisiennes ou celui des raccourcis de rédactions fatiguées ? Car il est de bon ton, dans certaines sphères, de diaboliser quiconque refuse le pilotage à distance depuis les chancelleries étrangères. Pour eux, la souveraineté est toujours suspecte, la fermeté toujours coupable, la fierté toujours dangereuse.
Soyons sérieux. Ce réflexe infantile qui consiste à plaquer sur le présent africain les ombres du passé colonial traduit surtout une paresse intellectuelle. C’est le refus de penser le changement autrement que par le prisme de la peur. Doumbouya ne rappelle pas Bokassa ; il dérange, tout simplement. Et dans certains milieux, déranger, c’est déjà régner.
On aurait aimé que ces « analystes » s’intéressent un peu plus aux faits qu’aux fantasmes : à la lutte contre la corruption, à la rigueur dans la gestion publique, à la réhabilitation de l’armée, à la stabilité sociale et politique…. Mais non : ils préfèrent l’anecdote au fond, la rumeur au réel, le slogan à la nuance. L’histoire, pour eux, n’est qu’un miroir de foire où ils se regardent parler.
On en rirait presque, si ce n’était pas si tristement répétitif. A chaque génération, ses prophètes de malheur, toujours prompts à confondre fermeté et folie, réforme et revanche. Ils avaient dit que Sékou Touré était un « utopiste », Sankara un « dangereux idéaliste », et voici maintenant Doumbouya promu « Bokassa relooké ». La constance de la sottise a parfois quelque chose d’admirable.
Alors qu’ils se rassurent : il n’y aura pas de trône à Sékhoutouréya, pas de sceptre doré ni de sacre impérial. Il y a seulement une Guinée debout, qui remet de l’ordre là où régnait le désordre, qui apprend à marcher sans tuteur, à penser sans prompteur, à décider sans permission.
Et si cela froisse les nerfs délicats des donneurs de leçons, tant mieux. C’est la preuve que la souveraineté dérange encore ceux qui en vivent.
Quant à la fameuse comparaison, concluons avec indulgence : le jour où Doumbouya deviendra “le nouveau Bokassa”, ce sera peut-être le jour où Conakry commencera à distribuer des couronnes en lieu et place des réformes. En attendant, qu’ils gardent leurs archives impériales : ici, la Guinée n’a ni empereur ni sujet, seulement un peuple qui relève la tête, et un chef qui ose la tenir droite.
Le jour où Doumbouya deviendra Bokassa, les Guinéens, eux, deviendront des courtisans. Autant dire : jamais. En attendant, qu’ils rangent leurs comparaisons dans les vitrines de l’histoire coloniale, la Guinée, elle, a fermé la boutique de la soumission.















