Guinée, 21 août (Infosbruts.com) – L’ancien ministre Amadou Thierno Diallo estime que la codification des organes de la transition dans le projet de nouvelle Constitution est « déplacée », au motif qu’une Constitution doit être intemporelle et non circonstancielle. Cette critique, séduisante sur la forme, mérite cependant d’être déconstruite avec rigueur et comparaisons précises.

L’ancien ministre Amadou Thierno Diallo, Président de Synthèse
Une Constitution de transition : une pratique admise dans le monde
Loin d’être une curiosité guinéenne, l’idée d’intégrer des dispositions transitoires dans une Constitution est pratiquée par de nombreux États.
En Afrique du Sud, la Constitution intérimaire de 1993 a expressément codifié un gouvernement de transition composé d’un « Government of National Unity » (Chapitre 6, articles 88 à 94). C’est ce texte qui a rendu possible la cohabitation entre le Congrès National Africain (ANC) de Mandela et le Parti National de De Klerk, garantissant une sortie pacifique de l’apartheid.
En Tunisie, la Constitution de 2014, adoptée après la révolution de 2011, contient un Chapitre X intitulé « Dispositions transitoires » (articles 148 et suivants), qui fixait les règles de fonctionnement de l’Assemblée constituante et les délais pour l’installation des nouvelles institutions démocratiques.
Au Soudan, la Déclaration constitutionnelle de 2019 a explicitement créé les organes de transition : l’article 10 énumère le Conseil de souveraineté et le Conseil des ministres, l’article 11 décrit la composition du Conseil de souveraineté, et l’article 15 fixe les règles relatives au Cabinet. L’article 7, quant à lui, précise la durée de la transition (39 mois).
Ces exemples démontrent qu’il est parfaitement normal, en contexte transitoire, d’élever au rang constitutionnel les organes provisoires, afin de leur donner une légitimité et de prévenir tout vide juridique.
L’« intemporel », un idéal théorique
M. Diallo invoque l’intemporalité de la Constitution. Mais l’histoire démontre que peu de Constitutions sont restées immuables.
La France a connu une quinzaine de Constitutions ou textes constitutionnels depuis 1791 (1791, 1793, 1795, 1799, 1804, 1814, 1830, 1848, 1852, 1875, 1946, 1958, etc.).
Le Ghana a adopté quatre Constitutions en moins de quarante ans : 1960, 1969, 1979 et 1992.
Même la Constitution américaine (1787), souvent citée en exemple, n’est pas restée « purement intemporelle » : elle a été amendée 27 fois et complétée par une jurisprudence abondante.
L’intemporalité n’est donc pas une caractéristique formelle du texte, mais le fruit d’un consensus social et politique qui peut naître d’un texte aussi bien concis que détaillé.
La comparaison américaine : un contresens
Comparer la Guinée aux États-Unis est méthodologiquement erroné. La Constitution américaine est le produit d’un contexte historique unique : l’union de treize colonies dans un cadre fédéral minimal. Elle n’a pas été conçue pour gérer une transition, mais pour fonder un nouvel État.
En outre, la fameuse « concision » américaine est compensée par des milliers de pages de jurisprudence, qui constituent en pratique la véritable « Constitution vivante ».
Parler de la Constitution américaine comme d’un modèle universel occulte donc l’essentiel : chaque pays doit adapter son texte fondamental à son histoire, ses crises et ses besoins spécifiques.
Codifier pour limiter, non pour légitimer
M. Diallo craint que la Constitution « légitime » un pouvoir temporaire. C’est ignorer la logique même du droit constitutionnel. Ne pas encadrer un pouvoir transitoire dans la Constitution, c’est l’autoriser à agir dans le vide, sans règles ni limites.
Au contraire, l’inscrire dans le texte fondamental permet de définir la durée, les missions et les bornes de ce pouvoir.
L’exemple du Soudan (2019) est éclairant : c’est précisément parce que la Déclaration constitutionnelle avait prévu un calendrier de transition que la société civile a pu exiger son respect face aux hésitations des militaires.
Le rôle des experts : une évidence, pas un argument
Réclamer une relecture par des experts en droit constitutionnel et linguistique est pertinent, mais ce n’est pas un argument contre la codification.
Partout ailleurs, des experts ont travaillé avec les acteurs politiques pour intégrer les dispositions transitoires dans la Constitution (Afrique du Sud, Kenya, Tunisie). Car une Constitution n’est pas seulement un texte juridique, c’est aussi un pacte politique et social.
Conclusion : réalisme constitutionnel contre idéalisme rhétorique
La critique de M. Diallo repose sur une vision idéaliste de la Constitution : un texte intemporel et abstrait, hors du temps politique.
Mais la Guinée, comme d’autres nations en transition, a besoin d’un texte réaliste qui sécurise l’exception et encadre le provisoire.
Les exemples sud-africain, tunisien et soudanais, comme l’attestent les références constitutionnelles présentées en annexe, prouvent qu’inscrire les organes de la transition dans la Constitution n’est pas une faiblesse : c’est une nécessité juridique et politique pour éviter le vide, réduire l’arbitraire et garantir une sortie ordonnée vers la démocratie.
Chérif Sampiring Diallo
Éditorialiste, InfosBruts.com
« Une plume au service de la Guinée »













