Guinée, 10 août (Infosbruts.com) – En Guinée, l’alternance est un mot d’eau vive : il court sur toutes les lèvres, mais, sitôt prononcé, il se déverse dans les sables immobiles des habitudes. Les foules la réclament comme on réclame la pluie après la saison sèche ; les appareils politiques, eux, l’accueillent avec la prudence de ceux qui craignent que l’averse emporte leurs racines.
Depuis des décennies, certains chefs de partis ne gouvernent pas : ils s’enracinent. Leur siège n’est plus un fauteuil, mais un tronc pétrifié, soudé au sol par la résine des ans et des calculs. Ils dénoncent avec fracas le troisième mandat présidentiel, tout en cultivant leur propre éternité dans l’ombre familière de leur maison politique. Ce n’est pas seulement de l’hypocrisie, c’est une géologie : les couches de discours recouvrent les couches d’ambition.
Leur parti n’est pas un espace commun : c’est un corps qu’ils habitent comme une âme unique, chaque organe répondant à leur seule impulsion. La caisse ? Un cœur que nul autre ne peut toucher. Le financement ? Un sang qui circule selon leur bon vouloir. Ainsi, la vie interne se réduit à un monologue. Les ambitions se taisent avant de naître, les carrières s’inclinent avant de s’ériger, et les silences deviennent pactes.
Mais peut-on prétendre reconstruire un pays si l’on ne tolère pas de fissure dans sa propre forteresse ? L’alternance, pour exister, doit d’abord se prouver dans le cercle le plus étroit, car il n’est pas de République sans micro-Républiques intérieures.
Il faudrait donc graver dans la pierre, ou mieux, dans la mémoire civique, des règles simples :
Nul président de parti au-delà de deux mandats : la sève doit changer de source.
Financement public transparent, limpide comme l’eau au lever du jour, audité chaque année par des mains sans attache.
Congrès démocratiques sous le regard d’une tierce lumière, indépendante de toutes les ombres.
Retrait du statut officiel à tout parti qui se prend pour un royaume héréditaire.
Car Sékhoutouréya n’est pas l’unique théâtre où se joue l’alternance : elle commence dans les pièces mal éclairées des sièges de partis, là où les trônes, même bancals, résistent mieux que ceux du palais.
La démocratie n’est pas un lieu ; c’est un geste répété jusqu’à devenir habitude.
Chérif Sampiring Diallo Éditorialiste
« Jardinier d’idées dans les friches du pouvoir ». InfosBruts.com