Fouta, 9 août (Infosbruts.com) – Depuis 2010, le Fouta Djallon s’est imposé comme l’épicentre de la contestation contre Alpha Condé, affichant une unité politique rarement vue en Guinée. Mais en laissant cette résistance se cristalliser autour d’un prisme ethnique, la région s’est enfermée dans une image qui l’isole du reste du pays. Un piège dont les architectes ont souvent été ses propres leaders.

Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo, souvenir d’un duel sans merci
Un tournant en 2010
L’élection présidentielle de 2010 a marqué un basculement. Au second tour, le vote du Fouta en faveur de l’UFDG a frôlé l’unanimité : dans plusieurs préfectures comme Labé ou Mali, le score de Cellou Dalein Diallo a dépassé 95 %, atteignant même 98 % dans certaines communes rurales. Ce soutien massif a immédiatement été interprété, par le pouvoir et par une partie de l’opinion nationale, comme un vote de rupture ethnique.
Plutôt que de déconstruire cette lecture réductrice, les dirigeants politiques locaux l’ont assumée, parfois même brandie comme un symbole de fierté.
Trois choix qui ont mené à l’impasse
La personnalisation extrême du combat
Entre 2010 et 2021, la scène politique s’est réduite à un duel Alpha Condé vs Cellou Dalein Diallo, laissant peu de place à un projet collectif plus large. Les campagnes de 2015 et 2020 ont reposé presque exclusivement sur cette opposition binaire.
En 2015, le vote UFDG au Fouta est resté au-dessus de 90 % dans toutes les préfectures, atteignant 96 % à Pita et 97 % à Tougué. Cette constance a figé le clivage.
La sacralisation du vote communautaire
Les injonctions, explicites ou implicites, à « ne pas diviser le vote peul » ont verrouillé l’espace politique local. Lors des législatives de 2013, l’UFDG a obtenu plus de 90 % des suffrages dans la quasi-totalité des circonscriptions du Fouta.
En 2018, aux élections communales, les listes concurrentes ont rarement dépassé 5 % dans les fiefs historiques de l’UFDG. Toute tentative de concurrence a été immédiatement taxée de trahison.
Le refus d’alliances transethniques durables
Les ouvertures amorcées en 2010 vers certaines figures malinkés ou forestières ont vite été refermées. En 2020, malgré une mobilisation nationale contre le troisième mandat, l’UFDG a concentré ses bastions autour du Fouta, engrangeant encore plus de 95 % des votes dans la région… mais sans percée significative ailleurs.
Le piège de la menace identitaire
En psychologie sociale, ce phénomène est bien connu : plus un groupe se sent attaqué, plus il se replie sur lui-même, et moins il communique avec les autres. Alpha Condé a su exploiter cette dynamique, figeant l’image du Fouta en « bloc ethnique » pour justifier son isolement institutionnel.
Le plus préoccupant, c’est que cette image n’a pas été seulement subie : elle a été alimentée par calcul électoral. Car l’appel à l’identité garantit des foules enthousiastes et des urnes pleines… mais rarement la conquête effective du pouvoir.
Sortir de l’ornière
L’histoire offre pourtant des pistes. Le chercheur John Paul Lederach parle d’intellectuels-ponts : des figures capables de transformer un récit d’exclusion en projet commun. C’est ce rôle que les élites politiques et intellectuelles du Fouta auraient dû assumer depuis longtemps. Elles ne l’ont pas fait.
Il est urgent désormais de désenclaver le discours : parler gouvernance, économie, éducation, justice sociale. Construire des alliances solides avec toutes les régions. Porter une voix qui s’adresse à la Guinée entière, et non à une seule communauté.
Car l’identité peule n’est pas un drapeau de guerre : c’est une composante essentielle du tissu national.
Nommer les responsabilités
La mémoire de l’exclusion ne doit plus servir de stratégie d’isolement. Ceux qui ont confondu leadership et captivité électorale ont fragilisé la région et, paradoxalement, servi les intérêts mêmes qu’ils combattaient.
En politique, l’adversaire le plus dangereux n’est pas toujours celui qui vous attaque : c’est parfois la stratégie qui vous enferme, et ceux qui, par calcul ou par inertie, vous y maintiennent.
Chérif Sampiring Diallo Éditorialiste/ InfosBruts.com
« Défaire les murs, bâtir des ponts »