« L’histoire bégaie », écrivait Karl Marx, « la première fois comme tragédie, la seconde comme farce. » C’est précisément à cette confusion entre mémoire et mirage que nous conduit la tribune de Mamadou Djouldé Diallo intitulée De Chirac à Cellou : quand l’Histoire bégaie.

En comparant Elhadj Cellou Dalein Diallo à Jacques Chirac, et les cadres de l’UFDG ayant rejoint le gouvernement de transition à des traîtres de type “Balladur”, l’auteur flatte une émotion partisane, mais détourne le regard de la réalité politique, plus complexe, plus structurée et plus exigeante.
Chirac–Balladur vs Cellou–Gaoual : deux dynamiques opposées
La trame est connue : en 1995, Édouard Balladur, nommé Premier ministre par Jacques Chirac dans le cadre d’une stratégie tacite, décide finalement de se porter candidat contre lui à la présidentielle. Ce fut vécu comme une trahison, une rupture de pacte personnel et politique.

Mais cette situation s’est déroulée dans un cadre démocratique clair, où deux poids lourds du même courant s’affrontaient à armes égales dans une compétition électorale ouverte, structurée et légale. Chirac sortira vainqueur, en grande partie grâce à sa proximité avec les couches populaires, son charisme et sa résilience stratégique.
Cellou Dalein Diallo, lui, ne fait face à aucune compétition électorale interne véritable. Le véritable enjeu n’est pas une “trahison” dans le cadre d’une présidentielle, mais bien une crise de gouvernance à la tête d’un parti figé, où la relève n’est ni pensée ni acceptée.
Cellou face à Gaoual : une exclusion annulée, un statu quo inquiétant
Le cas le plus emblématique est celui d’Ousmane Gaoual Diallo, ex-responsable de la communication de l’UFDG, aujourd’hui ministre dans le gouvernement de transition. Officiellement exclu du parti pour ses prises de position et ses critiques internes, il a vu cette exclusion annulée par la justice guinéenne.
Depuis, la direction du parti se retrouve dans une impasse juridique et politique, incapable d’organiser un congrès, de clarifier ses statuts, ou même de trancher sur sa propre ligne de conduite.
Cette situation n’a rien d’un duel idéologique au sommet comme celui entre Chirac et Balladur.
Il s’agit d’un désaccord profond sur la gouvernance du parti, son fonctionnement interne, et le refus de laisser émerger une nouvelle génération de leaders.

Des départs qui révèlent une crise de gouvernance, pas une trahison
Aux côtés d’Ousmane Gaoual, d’autres figures majeures issues de l’UFDG ont rejoint le gouvernement de transition, à l’image de Cellou Baldé, désormais ministre de la Jeunesse.
Loin de renier leurs engagements passés, ces anciens cadres affirment agir au nom de l’intérêt national, dans une période de transition exceptionnelle. On peut débattre de leur choix, le critiquer, le refuser politiquement, mais le qualifier de “trahison” revient à adopter une lecture personnelle de la fidélité, et non une vision politique du rapport au pouvoir.
En réalité, ces départs sont le symptôme d’un parti verrouillé par un leadership qui confond loyauté et soumission, et qui a transformé l’opposition politique en territoire réservé.
Un parti sans respiration démocratique
Depuis près de vingt ans, l’UFDG n’a connu ni alternance à sa tête, ni débat interne transparent sur ses orientations stratégiques. Les structures jeunes, féminines ou régionales sont réduites à l’exécution. Le congrès du parti, censé réguler les conflits internes, est constamment reporté.
Or, le pouvoir personnel produit toujours des scissions. Et les militants qui cherchent un autre chemin ne sont pas nécessairement des traîtres : ils peuvent aussi être porteurs d’un besoin de réinvention, d’une stratégie plus pragmatique, ou d’une vision plus transversale de la politique.
Ce que révèle cette crise, ce n’est donc pas une série de trahisons, mais l’épuisement d’un mode de fonctionnement vertical, solitaire, et souvent émotionnel.

Comparer Cellou à Chirac ? Une tentation rhétorique, mais une erreur analytique
Chirac a su se faire élire au suffrage universel. Cellou Dalein, malgré ses combats, ne l’a jamais été. Chirac a affronté un rival issu de son propre camp dans une élection libre. Cellou fait face à une contestation interne sur la gouvernance de son parti, sans qu’aucun mécanisme démocratique ne permette de trancher.
Chirac était un stratège enraciné dans la France rurale et populaire. Cellou reste cantonné à un électorat régional, sans avoir su élargir significativement sa base politique au-delà de ses bastions.
Comparer les deux, c’est éluder les vrais problèmes structurels qui empêchent l’opposition guinéenne de se réinventer. C’est détourner l’attention de l’urgence : refonder les partis sur des bases démocratiques réelles, au lieu de les transformer en véhicules de notabilité éternelle.
L’histoire ne bégaie pas, elle exige qu’on la comprenne
Il ne s’agit pas ici de nier les mérites de Cellou Dalein Diallo, ni l’adversité qu’il affronte. Mais faire de lui un Chirac africain est un mirage. Ce n’est pas l’histoire qui bégaie, c’est la lecture partisane qui se répète. En politique, la fidélité n’est pas un dogme. C’est une confiance qui se cultive, se mérite, et se renouvelle par le débat, la légitimité, et l’ouverture.
Chérif Sampiring Diallo
Sociologue, Journaliste, Éditorialiste
Écrivain, Essayiste, Poète
Parce que penser juste, c’est déjà résister.













