Guinée, 12 août (Infosbruts.com) – Dans le débat constitutionnel, l’exactitude vaut mieux que l’effet d’annonce. Ibrahima S. Traoré, dans une tribune publiée sur guinee7.com, affirme que les articles 74 et 160 du projet de nouvelle Constitution seraient en « collision juridique ». Une telle conclusion, séduisante pour le débat public, ne résiste pas à une analyse juridique rigoureuse.
L’interprétation harmonisée, clé de lecture
Article 74 : protège l’exercice régulier des fonctions du Président.
Article 160 : institue une Cour spéciale pour juger le Président, en fonction ou après mandat, pour haute trahison, crimes ou délits commis « dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions ».
Selon les standards de la Commission de Venise, un texte constitutionnel ne s’interprète pas morceau par morceau, mais dans sa cohérence globale. L’immunité d’un chef d’État n’est pas une bulle hors du droit, c’est un dispositif temporaire destiné à protéger la fonction tout en laissant ouverte la voie de la responsabilité.
« Régulier » ne couvre pas l’illégal
Le mot « régulier » ne se traduit pas par « à l’abri de toute poursuite » mais par conforme au droit.
Un acte illégal, même commis dans le cadre des fonctions, sort de cette protection.
La jurisprudence constitutionnelle africaine l’illustre :
Bénin (DCC 06-074, 8 juillet 2006) : aucun principe constitutionnel ne couvre un acte contraire à la loi.
Côte d’Ivoire et Sénégal : immunité pour les actes réguliers, mais jugement possible pour haute trahison ou crimes graves.
Afrique du Sud : destitution possible pour violation de la Constitution.
Partout, le principe est clair : immunité ne rime pas avec impunité.
Pas de dilemme, mais un équilibre. Parler de « conflit » entre les articles 74 et 160 revient à ignorer leur complémentarité.
Le premier protège la stabilité institutionnelle, le second garantit que cette protection ne se transforme pas en permis de fraude.
Si un contrat minier frauduleux est signé, il devient automatiquement une affaire pénale relevant de la Cour spéciale prévue à l’article 160. La logique juridique est limpide : protéger la fonction légitime, sanctionner la dérive.
La vraie urgence : clarifier, pas accuser
Le seul point perfectible est rédactionnel : préciser la notion d’« exercice régulier » pour éviter toute interprétation abusive. Mais cela ne crée pas de conflit entre les deux articles.
En droit constitutionnel, l’équilibre est toujours le même : immunité fonctionnelle, responsabilité en cas d’abus.
Présenter l’article 74 comme un « passeport d’impunité » relève plus de la posture polémique que de la réalité juridique.
Conclusion
Les Constitutions modernes ne protègent pas les abus, elles les préviennent. La nôtre ne fait pas exception. Les articles 74 et 160, loin d’être en guerre, travaillent ensemble pour garantir à la fois la dignité de la fonction présidentielle et la primauté de la loi.
Annexe : références vérifiées
- DCC 06-074, Cour constitutionnelle du Bénin, 8 juillet 2006, contrôle d’une loi de révision (article 80) ; mention du principe de consensus national .
- Article 101, Constitution sénégalaise (2016), responsabilité présidentielle limitée à la haute trahison, procédures d’impeachment et jugement par Haute Cour .
- Commission de Venise, principe général d’interprétation harmonisée des normes constitutionnelles.
Par Chérif Sampiring Diallo Éditorialiste InfosBruts.com
« Une plume au service de la Guinée »













