Allemagne, 26 Mars (IBC) – Des recherches réalisées par notre compatriote Alfa Mamadou Lélouma indiquent que la première publication d’un poème en poular de Thierno Sadou Mo Dalein a été faite en 1859, à Berlin, en Allemagne. Cette belle trouvaille du petit-fils de feu Elhadj Mamadou Lélouma, ex-secrétaire préfectoral des Affaires religieuses ouvre des perspectives de recherches approfondies concernant les manuscrits du Fouta Djaloo.

Feu Elhadj Mamadou Lélouma et son petit-fils et homonyme, auteur de cet article
L’étude attentive du texte, édité à l’instigation de Charles Augustus Ludwig Reichardt, révèle les sujets d’intérêt de cette époque, les procédés littéraires d’un savant et l’importance conférée à l’éthique.
Œuvre
Jangee yo musiɓɓe, ɗalee solindal, ko no sellina finnde mu’un e dewal (Etudiez, frères et sœurs en islam, redoublez d’ardeur pour perfectionner votre foi et votre piété !).
Alors qu’une importante partie de son œuvre est rédigée en arabe, Thierno Sadou Dalen recourt au poular pour s’adresser au plus grand nombre possible de ses concitoyens. En 95 vers, il expose les principes de la religion et les règles du bon comportement en société.
L’ouvrage rencontre un large succès. « Le poème a été copié par l’interprète peul Talibé Cissé à partir d’un manuscrit apporté à la Colonie (Freetown, Sierra Léone) au début de la saison sèche de 1858. Son propriétaire a refusé de le vendre » (Reichardt, 1859). Dépourvu de titre ou de signature, l’œuvre est intitulée Of God alone (A propos de Dieu, l’Unique) par Reichardt ou Musiɓɓe, jangee nanon ! (Frères, oyez et étudiez !) par Sow (1966).
Contenu
L’introduction campe l’enjeu de la piété : se prémunir de l’enfer (vers 1-4). Le « cadre théorique » consiste en Dieu, ses attributs (vers 5-26), le rôle des Prophètes (vers 27-33) et l’importance du Jugement dernier (vers 34-43). La foi se résume à s’acquitter de la prière (vers 43-51), nier l’illusion de « la chance » (arsike), verser l’aumône (vers 52-59), respecter le ramadan (vers 60-71) et accomplir le pèlerinage/hajj (vers 72-75).
La Sunna (pratique) du Prophète (vers 76 – 94) est résumée et illustrée au moyen de conseils et mises en garde empruntées au règne animal comme à l’Ancien Testament (Satan et Caïn/Qâbil – qui symbolisent l’orgueil et l’égoïsme). Le poème se conclut par une bénédiction du Prophète (vers 95). Dense, concis et poétique, l’ouvrage est un exemple accompli de l’éloquence religieuse du Fouta Djalon – le waaju (ou wa’z, en arabe).
Contexte
Ce chef d’œuvre s’inscrit dans l’essor d’une littérature religieuse d’expression peul apparue au début du XIXe siècle. Avec Oogirde Malal (1825), Thierno Samba Mombéya (m. 1852) signe un traité de tawhid et de fiqh dont la langue, très soutenue, emprunte pour parti à l’arabe classique. En revanche, le poular de Thierno Sadou Dalen est simple, précis et imagé. Il rend « tangible » des concepts abstraits pour un public non lettré.
La production littéraire est le volet intellectuel des priorités politiques de la confédération théocratique. Elle attire l’attention des voyageurs qui fréquentent la région ou rencontrent ses ressortissants ». Recruté par des missionnaires britanniques, Reichardt veut maîtriser le poular pour évangéliser ses locuteurs. A cet effet, il recrute des lettrés pour acquérir des manuscrits, les transcrire, les traduire, constituer un corpus – et enseigner la langue.
Vie quotidienne
Les horaires des prières sont indiqués en fonction de la course du soleil : jul sallifana si arii ka ƴawal (Prie fanaa/ dhohr quand le soleil est au zénith !). La vie agropastorale est évoquée par images : le croyant est wa ngayna o soxolirno e demal (tel un berger égaré dans un champ). Tout est fait pour s’approcher des conditions de vie du pasteur ou du cultivateur, afin que, le plus simplement du monde, l’islam rythme sa vie et régisse son comportement.
Enfin, l’œuvre rappelle une exigence de la vie religieuse, administrative et politique. Wata seeru e julde jamaa e jumaa, ha’i wonde a lorrike ɓeydu muñal (Ne manque pas la prière collective du vendredi, même en cas de maladie, redouble d’efforts !). Trois absences non justifiées pouvaient valoir exclusion de la misiide (entité administrative dépendant d’une mosquée). La foi (individuelle et collective) faisait l’objet d’un contrôle social.
Éthique islamique
Fatareere e tooñe no yomniroyee, teemede jeeɗiɗi to yilmani ngal (Le rachat des actes illicites et l’injustes coûte 700 bonnes œuvres). Cette « arithmétique du salut » apparait dans Taḏkira lī-iṣlāḥ ḏāt al-bayn bayna al-fi’atayn al-‘aẓīmatayn – Sur la discorde entre les deux clans du Fouta : « la compensation correspondant au 1/6e de dirham équivaut à 700 prières agréées par le Seigneur ». Son origine est Iḥyā′ ‘Ulūm al-Dīn de al-Ghazali (m. 1111).
Wata tooñu melew, wata wallu e tooñe, ja malkise ɗa to taweede lazal (Ne commets pas d’injustice, ne t’en rends pas complice, sous peine d’être damné quand surviendra la mort). Ceci évoque Nush ar-Ruat / Conseil aux pasteurs : « Tout musulman qui opprime ou vient en aide à l’oppresseur sera dépouillé de sa profession de foi au moment de son dernier soupir ». Il s’agit d’une conviction forte de l’auteur, qui condamne certains abus de son époque.
Conclusion
La littérature religieuse des femmes et des hommes ayant le poular en partage est riche d’enseignements. L’archéologie textuelle (étude attentive des textes) permet d’exhumer ou de mettre en valeur des éléments fondamentaux de la civilisation du Fouta Djalon. En outre, elle révèle la pensée des auteurs. Ainsi, l’œuvre de Thierno Sadou Dalen forme un ensemble cohérent traversé d’idées forces répondant à ses convictions.
Qu’il écrive en arabe ou en pular, en vers ou en prose, à plusieurs reprises, il s’adresse à ses contemporains et livre son avis sur les défis de leur société. Ce faisant, il tire parti de la liberté d’expression en vigueur dans la confédération théocratique : celle qui permet d’énoncer les manquements des dirigeants et de les rappeler à leurs devoirs. Ce waliyyu (saint homme) est opposé à la tyrannie et milite en faveur de la justice.
Nos manuscrits sont des gisements de savoir et de sagesse. Leur étude permet de connaître une histoire dont nous ignorons la richesse. Leur analyse requiert d’initier des échanges académiques inter/nationaux (Ɗaɓɓere ganndal. La recherche du savoir). Enfin, leur mise en perspective permet de continuer le travail initié par nos prédécesseurs – pour offrir à notre contrée la probité et la prospérité qu’elle mérite.
Alfa Mamadou Lélouma
1000 mots Ramadan 25, 1446 * 25/3/2025