Guinée, 18 septembre (Infosbruts.com) – Alors que la Guinée cherche un nouveau souffle politique, Chérif Sampiring Diallo adresse une lettre solennelle à trois figures majeures de la scène nationale : Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et Alpha Condé. Dans un appel empreint de respect mais aussi de lucidité, il invite ces leaders historiques à transmettre le flambeau à une nouvelle génération, afin de préserver l’élan démocratique et l’unité du pays. Un texte fort, à la croisée de l’analyse politique et de la réflexion citoyenne.

Pour un passage de témoin historique
Messieurs,
L’histoire d’une nation se juge autant à la grandeur de ses bâtisseurs qu’à leur capacité à transmettre l’héritage qu’ils ont façonné. Vous avez, chacun selon votre parcours, imprimé votre empreinte sur la Guinée contemporaine. Vos engagements, vos luttes, vos victoires comme vos épreuves ont contribué à façonner notre conscience politique et à affirmer notre identité nationale. Nul, en toute objectivité, ne saurait contester votre rôle dans la marche de notre République.
Mais le temps politique n’est pas celui de l’éternité. Les sociétés humaines se renouvellent ou se figent : c’est là une loi immuable de l’histoire. De l’Athènes démocratique aux grandes transitions du XXᵉ siècle, les peuples qui ont prospéré sont ceux dont les aînés ont su céder la place avant que l’usure du pouvoir ne se mue en blocage collectif. Gouverner, c’est aussi savoir s’effacer pour que l’élan vital d’un pays reste intact.
La Guinée d’aujourd’hui est une nation jeune : plus de la moitié de ses citoyens n’ont jamais connu les premières années de votre engagement politique. Cette jeunesse est instruite, connectée au monde, avide d’idées neuves et d’audace. Lui refuser l’accès aux responsabilités, c’est nourrir une fracture générationnelle qui pourrait miner notre cohésion nationale. La politique ne doit pas être l’horizon d’une seule génération ; elle doit être un chantier permanent où l’expérience des aînés éclaire, mais n’étouffe jamais, l’avenir.
Sur le plan humain, chacun sait que la plus grande réussite d’une vie n’est pas de régner sans fin, mais de former ceux qui poursuivront l’œuvre commune. Sur le plan philosophique, Aristote rappelait déjà que la vertu suprême d’un gouvernant réside dans sa capacité à préparer la cité à se passer de lui. L’Histoire, de Mandela à Konaré, retient plus volontiers les dirigeants qui ont choisi, par lucidité, le moment du retrait que ceux qui s’y sont accrochés par habitude ou par crainte.

Il ne s’agit ni d’oubli ni d’effacement. Il s’agit d’une autre forme de grandeur : celle du passage de témoin. En offrant à la Guinée l’image d’hommes d’État capables de dire « il est temps », vous transformeriez votre capital politique en héritage collectif. Votre influence, alors, ne serait plus limitée aux combats partisans ; elle deviendrait un socle moral et intellectuel pour les générations à venir, qu’il s’agisse de former des leaders, d’inspirer des instituts de pensée ou de nourrir un conseil des sages.
L’heure est venue de faire de votre long parcours un legs plutôt qu’une lutte continue. Votre retrait volontaire de la scène publique active serait un acte de courage et de lucidité, un cadeau offert à la jeunesse, mais aussi une victoire sur la tentation de l’indéfiniment prolongé. Ce geste, rare et décisif, vous placerait dans le cercle restreint des véritables pères de la nation.
La Guinée vous doit beaucoup. Elle vous doit désormais ce dernier service : celui de laisser d’autres rêver, innover et gouverner à leur tour.
Avec respect et exigence,
Chérif Sampiring Diallo, Journaliste – Éditorialiste
Écrivain, sociologue, analyste politique indépendant