Afrique, 14 septembre (Infosbruts.com) – Au XXIe siècle, la planète vit une reconfiguration géopolitique sans précédent depuis la fin de la Guerre froide. Le monde n’est plus bipolaire, dominé par l’affrontement États-Unis contre URSS, il n’est plus non plus strictement unipolaire sous l’hégémonie américaine. Désormais, il tend vers une multipolarité incertaine, mouvante, où s’affrontent visions, intérêts et récits. Au cœur de cette recomposition, l’Afrique n’apparaît plus comme un simple terrain de jeu : elle devient un acteur convoité dont le rôle pourrait s’avérer décisif.
Depuis 1945, les États-Unis ont incarné la superpuissance dominante, avec une supériorité militaire, économique et technologique sans équivalent. Mais cette hégémonie s’effrite. Les guerres coûteuses d’Irak et d’Afghanistan, la montée irrésistible de la Chine, la résurgence de la Russie et l’érosion de la confiance dans l’Occident ont ouvert une brèche. Washington conserve certes le premier budget militaire mondial et des leviers d’influence majeurs, le dollar, la Silicon Valley, l’OTAN, mais il ne peut plus imposer seul ses règles. Chaque initiative américaine suscite désormais contestation et résistance.
Face à ce recul, la Chine s’impose comme une puissance systémique. En trois décennies, Pékin est passée du statut d’atelier du monde à celui de centre nerveux de l’économie globale. Avec les Nouvelles Routes de la Soie, elle projette une influence qui relie l’Asie centrale aux ports africains. Sa stratégie repose sur l’accumulation de réserves, la diplomatie des infrastructures, la maîtrise technologique et la capacité à occuper les interstices laissés par l’Occident. Pékin ne se limite plus à son environnement régional : elle se positionne désormais comme une alternative au modèle libéral occidental, séduisant particulièrement les pays du Sud.
De son côté, la Russie, longtemps perçue comme une puissance déclinante après 1991, s’est réaffirmée par la projection militaire en Syrie et en Ukraine, mais aussi par l’usage stratégique de ses ressources énergétiques. Moscou se veut champion d’une souveraineté mondiale non alignée, contestant frontalement l’ordre occidental. En Afrique, elle renforce ses partenariats sécuritaires et politiques, s’appuyant à la fois sur la mémoire de la coopération soviétique et sur le ressentiment contre les anciennes puissances coloniales.
L’Europe, quant à elle, reste une puissance fragmentée. Son poids économique est considérable, mais son déficit stratégique la fragilise. Dépendante militairement des États-Unis et traversée par de profondes divergences internes, elle peine à s’affirmer comme un acteur géopolitique autonome. Son discours sur les valeurs universelles se heurte trop souvent à ses contradictions, notamment sur les questions migratoires et les interventions extérieures. Pourtant, elle conserve des atouts majeurs : ses capitaux, ses technologies et ses liens historiques, en particulier en Afrique, où elle tente de préserver son influence face à la concurrence sino-russe.
Dans ce contexte, l’Afrique émerge comme un enjeu central. Longtemps marginalisée, elle devient aujourd’hui stratégique à plusieurs titres. Ses ressources énergétiques et minières, cobalt, lithium, uranium, gaz, la placent au cœur de la transition énergétique mondiale. Sa dynamique démographique, avec un quart de l’humanité prévu sur le continent d’ici 2050, lui confère un poids inédit. Enfin, sa position géopolitique, avec ses corridors maritimes, ses bases militaires et ses alliances diplomatiques, en fait un pivot incontournable dans les recompositions globales.
La question reste entière : l’Afrique sera-t-elle un acteur de cette recomposition, ou demeurera-t-elle spectatrice de la rivalité des puissances ? Trop souvent, ses élites politiques reproduisent un schéma de dépendance, se plaçant dans l’orbite des blocs extérieurs. Pourtant, des signaux d’espoir émergent : alliances régionales plus affirmées, montée en puissance d’une jeunesse consciente, discours souverainistes en gestation. Le basculement reste possible.
Nous entrons dans une ère de multipolarité instable. Aucun acteur ne peut plus imposer seul sa loi. Les tensions sino-américaines, la guerre en Ukraine, les recompositions au Moyen-Orient et l’urgence climatique redessinent sans cesse les équilibres. Ce nouvel ordre est fluide, fait d’alliances circonstancielles, de compétitions technologiques et de batailles narratives. Dans cette incertitude, l’Afrique a le choix : soit demeurer un champ de confrontation des puissances, soit s’affirmer comme un pôle stratégique autonome, forgeant des partenariats équilibrés et défendant ses propres intérêts.
L’histoire des cinq derniers siècles a trop souvent réduit l’Afrique au rôle d’objet : colonisée, exploitée, marginalisée. Mais le XXIe siècle ouvre une chance unique de réinvention. Face à l’effritement de l’ordre occidental, à la montée de l’Asie et au retour du Sud global, le continent peut devenir le laboratoire d’un nouvel équilibre mondial.
Cela exige une vision politique claire, une unité continentale renforcée et une stratégie de long terme. Faute de quoi, le risque est immense de voir l’Afrique prisonnière d’une nouvelle rivalité impériale. La géopolitique mondiale se redessine. La vraie question n’est plus de savoir si l’Afrique sera courtisée, mais si elle saura, enfin, écrire son propre destin dans ce nouvel ordre planétaire.
Par Chérif Sampiring Diallo
Journaliste, Éditorialiste, Écrivain, Essayiste