Moyenne Guinée, 14 Juin (Infosbruts.com) – Dans un petit village perché sur les hauteurs paisibles de la Moyenne Guinée, un professeur d’économie à la retraite observe avec ironie – mais non sans inquiétude – la résurgence de pratiques anciennes face à la crise monétaire que traverse la Guinée. Là où il espérait finir ses jours en paix, la rareté de liquidités transforme le quotidien en expérience économique grandeur nature.

Mourana Soumah, Ministre de l’Economie et des Finances
Faute de pouvoir retirer de l’argent liquide via les services d’Orange Money, devenus aussi imprévisibles qu’un orage en saison sèche, les habitants du village ont commencé à échanger des « bons pour ». « Bon pour 150 000 GNF à récupérer quand le compte sera alimenté », « Bon pour un sac de riz à payer dès que je peux »… La population, sans le savoir, réinvente les assignats de la Révolution française de 1789, ces bouts de papier censés représenter une valeur future, dans un système en faillite.
« Les pauvres croient avoir inventé quelque chose. Mais c’est du déjà-vu. L’économie a déjà vécu ça… en Europe, il y a plus de deux siècles ! », sourit, un brin amer, le professeur retraité.
Le professeur se souvient aussi d’un autre moment marquant de l’histoire monétaire guinéenne : la chute du régime de Sékou Touré en 1984. À l’époque, la monnaie nationale – le syli – avait aussi perdu toute fluidité. Pour espérer toucher un peu d’argent à la banque Crédit National, il fallait… guetter un client venu faire un dépôt, et foncer voir le caissier avant que l’argent ne reparte ! Une méthode artisanale de gestion monétaire improvisée, mais tristement révélatrice d’un État défaillant face à ses fonctions de base.
Aujourd’hui encore, le pays revit ce vieux démon. Selon le professeur : « quand une monnaie est en crise, il n’y a que deux scénarios : soit il n’y a pas assez de billets en circulation, soit il y en a trop, mais ils ne valent plus rien. C’est l’un ou l’autre. Mais dans les deux cas, l’économie est paralysée. »
Et c’est exactement ce à quoi les Guinéens assistent aujourd’hui. Des caisses vides dans les agences de mobile money, des banques qui plafonnent les retraits, des commerçants qui refusent les paiements électroniques, et une confiance générale en chute libre.

Karamo Kaba, Gouverneur BCRG
Au lieu d’attendre que les citoyens inventent des solutions de fortune comme au XVIIIe siècle, il est temps que les autorités économiques et monétaires sortent du mutisme, explique-t-il. Le silence officiel face à une crise aussi structurelle alimente la défiance, favorise le troc, et désorganise les circuits financiers modernes.
La crise actuelle n’est pas une première. Mais ce qui inquiète, c’est la répétition des erreurs et l’absence de leçons tirées. En 1789, en 1984, et maintenant en 2025, la monnaie n’est pas qu’un simple moyen de paiement : c’est un pilier de la stabilité sociale.
« Ce qu’il faut craindre, ce n’est pas seulement le manque de billets, mais ce qu’il signifie : la rupture du contrat de confiance entre l’État, les banques, et le peuple. Et là, les conséquences peuvent être profondes. »
À méditer… avant le prochain « bon pour ».
Par Idrissa Sampiring DIALLO pour Infosbruts.com