Guinée, 23 Mars (IBC) – Le livre de notre compatriote Dr Ataoulaye Sall intitulé ‘’Le Cri du silence’’ paru au mois de décembre 2023 chez l’Harmattan Guinée est largement lu à l’étranger où il est pratiquement au centre des conversations dans les milieux intellectuels et scientifiques. Parmi les nombreux lecteurs qui ont aimé son contenu, l’enseignant français Julien REYNAL partage ici ses impressions, rapporte votre quotidien en ligne infosbruts.com basé en Moyenne Guinée.
Je viens de terminer la lecture du livre du Docteur Ataoulaye SALL, le cri du silence, dont voici les impressions qu’il me laisse.
Le titre me paraît tout d’abord bien choisi parce qu’il donne forme aux protestations douloureuses, mais souvent silencieuses, des femmes africaines. Après une introduction légèrement trop longue, le cri du silence, qui synthétise, sous les traits d’une demi-douzaine de personnages bien campés, les expériences vécues par ce médecin ces vingt dernières années en Guinée, prend progressivement de l’ampleur pour culminer dans le couple formé par DJBA et SAMBA qui non seulement ont établi un climat d’égalité entre eux, mais se respectent l’un et l’autre, tout en se reconnaissant réciproquement les mêmes droits.
Mais, pour arriver à ce résultat, il a fallu bien des étapes intermédiaires qui se nomment DJOMBO et BILAL, DOMANI et SENI, KADIA et KOSSA, et enfin DJIBA et SAMBA, où les héroïnes prennent une conscience de plus en plus affûtée, pour 3 d’entre elles, des inégalités qui les opposent à leur mari. Examinons la situation particulière de chacune de ces femmes, qui manifeste, à des degrés divers, une conquête de leurs droits : DIOMBO, après bien des avanies, accueille la nouvelle de sa répudiation et son remplacement par TENIN avec résignation : si telle est la décision de mon mari, je la respecte, dit-elle « se contentant d’exprimer son étonnement quant à la façon de faire de son mari », même si intérieurement cette « descendante d’une famille de chefs de canton », faisant partie donc de l’aristocratie terrienne, ressentait douloureusement l’humiliation de cet abandon, qui la poussa, bien des années après, par esprit de revanche et pour l’amener à plus de lucidité sur lui-même, à insister sur les multiples défaillances de son ex-mari, venu lui exprimer ses regrets de l’avoir si mal traitée. DOMANI, pour ce qui la concerne, était tellement occupée à la multitude des taches qu’elle avait à remplir face aux deux épouses de son mari, SENI, (corvée d’eau, de ménage, de cuisine, de vaisselle, et bien d’autres encore, pour 13 personnes, dès 4 ou 5 h du matin) que, sans s’être rendu compte qu’elle était enceinte, ni s’être jamais plainte du labeur sans fin qui lui était imposé, elle dut être hospitalisée à bout de forces. KADIA, elle, après s’être donnée, lors d’une nuit d’amour passionné, à son fiancé, KOSSA, s’est aperçue très vite que leur projet de mariage ne verrait jamais le jour, du fait de l’hostilité de la famille de KOSSA, qui lui choisit un meilleur parti dans la capitale. Fuyant devant ses responsabilités, KOSSA, n’a même pas eu le courage de dire au revoir à KADIA, qui, devant la trahison de KOSSA, décide « la mort dans l’âme » de vivre désormais sa vie, sans l’aide d’un mari, en toute indépendance. Cet épisode, révélateur de la situation d’infériorité des femmes africaines, mais aussi de leur volonté nouvelle de ne plus se laisser faire, contribuera à forger le caractère de KADIA, puisque nous la retrouverons bien plus tard, fortune faite, à la tête d’une compagnie de taxis et de plusieurs commerces. Enfin, DJIBA et SAMBA sont l’image d’un couple presque parfait qui, grâce à l’attachement et au profond respect qu’ils ont l’un pour l’autre, sont parvenus, à force de patience, d’amour et d’estime réciproques, à une réussite morale, familiale et professionnelle, qui tranche par l’équilibre des droits et des devoirs réalisé, avec les expériences maritales précédentes, qui laissent un arrière-goût d’échec ou de demi-échec.
Parallèlement à cette évolution vers une interdépendance conjugale plus tangible, nous assistons à une prise de conscience, incomplète, mais réelle, des tourments que maris et pères ont fait vivre à leurs femmes et filles par suite d’une conception étroite et centrée sur eux-mêmes de leur puissance maritale, et paternelle : peu à peu des hommes tels que BILAL, le mari de DJOMBO, ou Thierno ALDIOUMA, dit le Sénateur, tout en se trouvant l’excuse de traditions culturelles ou religieuses qui s’imposent à eux depuis des siècles, finissent par se reprocher de n’avoir pas fait assez d’efforts pour comprendre mieux les revendications légitimes de leurs épouses, de n’avoir pas eu à leur endroit les égards qu’elles méritaient, de leur avoir souvent imposé des décisions arbitraires ou insuffisamment motivées, bref de n’avoir pas assumé leur rôle de chef de famille avec le degré d’ouverture, de bienveillance et de compréhension nécessaire.
En confrontant ces évolutions parallèles, et sans conteste positives, on retire l’impression d’un progrès indiscutable des esprits et des cœurs vers un partage des rôles plus équilibré que par le passé, mais ce n’est là que le début d’un mouvement qui prendra, à n’en pas douter, des décennies, car le poids des égoïsmes et des réflexes conservateurs d’un côté et de l’autre les humiliations subies, les rancœurs accumulées, les souffrances physiques et morales endurées, bref la disproportion des obligations pesant respectivement sur les hommes et les femmes ne pourront s’atténuer que si se poursuit et même s’accentue le processus de libération de la femme africaine, dont les exigences sont contenues dans les deux pétitions détaillées à la fin du Cri du silence, qui résument avec beaucoup de clarté et de précision la matière du livre et résonnent comme le programme des années à venir, dont l’ouvrage du Docteur Ataoulaye SALL met en évidence, avec éloquence et émotion, l’urgence et la nécessité.
Julien REYNAL
Ancien directeur de l’enseignement, 14 avenue
Général LECLERC 19 100 BRIVE-LA GAILLARDE. FRANCE